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Pourquoi des divergences chronologiques dans les Évangiles?

Dernière mise à jour : 9 nov. 2022


Dans de nombreux versets les évangiles semblent se contredires d'un point de vu chronologique. Exemples : 

  • En Matthieu 21.12-17 ; Marc 11.15-18 et Luc 19.45-47 Jésus chasse les marchands du temple peu de temps avant sa mort mais dans Jean 2.12-23 Jésus chasse les marchands au début de son ministère.

  • En Matthieu 26.67-70 et Marc 14 66-70 Jésus est frappé puis Pierre le renie, en Luc 22.55-65 Pierre renie Jésus et ensuite Jésus est frappé.

  • En Matthieu 27.50-51 et Marc 15.37-38 Jésus meurt et le voile du temple se déchire tandis que dans Luc 23.45-46 le voile du temple se déchire puis Jésus meurt.

(Il existe encore d'autres exemples de ce type mais je ne vais pas faire une recension complète, ces quelques exemples suffiront.)


Bart Ehrman utilise ce genre de passage pour parler de divergence voir de contradiction [1], ces divergences peuvent en effet être problématiques si l'on pense que les évangiles sont des biographies modernes qui ont pour objectif de rendre un récit chronologique comme on l'entend de nos jours. Mais la réalité est tout autre, une grande partie des érudits affirment que les évangiles sont similaires à des "bioi (biographie ancienne qui  se concentre sur la vie d'une personne particulière) et l'une des particularité des biographies anciennes est qu'elles n'ont pas pour but de relater un récit dans un ordre chronologique strict mais peuvent relater des événements dans un ordre thématique  :


Michael J.Kruger 

Dans le livre du Dr Ehrman, Jesus, Interrupted, il passe beaucoup de temps à essayer de montrer que les documents du Nouveau Testament - en particulier les Evangiles - sont en désaccord les uns avec les autres à différents points. Mais ce qui est remarquable dans cette discussion, c'est que le Dr Ehrman passe très peu de temps à expliquer ce que sont réellement les documents évangéliques - comme l'historiographie ancienne. En d'autres termes, que devons-nous attendre des évangiles en tant qu'anciennes biographies ? Devrions-nous nous attendre à ce qu'ils soient comme une biographie moderne - où tout est dans un ordre chronologique strict, et où chaque fois que vous citez les mots de quelqu'un, vous les citez comme si vous aviez un microphone et un enregistreur pendant qu'il parle, de sorte que tout soit exactement rendu mot pour mot ?

Le Dr Ehrman sait, comme d'autres historiens, que lorsque les biographies étaient écrites dans l'Antiquité, ce type de restrictions n'existait pas. Dans l'Antiquité, il était courant que les choses se fassent dans des ordres chronologiques différents. Il était courant de paraphraser et de condenser les propos d'un professeur ou d'un discours particulier. Ceci pour une raison simple et évidente : on ne peut pas tout dire dans un document historique. L'espace dont vous disposez est limité. Vous avez un accès limité aux documents sur lesquels vous pouvez écrire. Vous devez avoir un moyen de prendre un long discours et de le paraphraser. Le Dr. Ehrman passe beaucoup de temps en Jésus, interrupted pour expliquer où il y a des divergences entre ce que Jésus dit dans un récit et ce qu'il dit dans un autre récit. Le problème avec son argument est qu'une fois que vous comprenez la façon dont les historiographies anciennes fonctionnaient, vous réalisez que ces divergences ne sont en fait pas du tout des divergences, mais la façon normale dont les choses étaient faites dans l'ancien monde.

Un exemple est le récit de Jésus nettoyant le temple. Il est bien connu que dans les évangiles synoptiques, Jésus nettoie le temple à la fin de sa vie pendant la Semaine de la Passion. Mais Jean prend ce même événement et le partage au début de son Evangile. La question est la suivante : "Jean raconte-t-il quelque chose qui est en contradiction avec les Évangiles parce qu'il demande à Jésus de nettoyer le temple au début de son ministère, et les Synoptiques demandent à Jésus de nettoyer le temple à la fin de son ministère ? Encore une fois, lorsque vous comprenez l'historiographie ancienne, les auteurs prennent souvent une histoire de la vie d'un individu particulier et ne la mettent pas dans l'ordre chronologique ; mais pour des raisons thématiques, d'actualité, et d'autres raisons diverses, ils la placent à des endroits différents. Il semble que ce soit exactement ce que fait John. Il veut raconter l'histoire de Jésus nettoyant le temple au tout début de son Evangile pour ses propres raisons - une raison particulière étant que Jean met l'accent sur le temple, et sur le fait que Jésus est le nouveau temple et celui qui remplacera le temple. Il ne fait donc aucun doute que Jean a réorganisé les choses en dehors de leur strict ordre chronologique pour des raisons thématiques. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas d'histoire ? Non, cela veut simplement dire qu'il faut comprendre la façon dont les biographies anciennes fonctionnaient en réalité. [2]


Bruno Bioul

Les Évangiles ne sont pas des livres d’histoire au sens moderne du terme. Leurs auteurs n’ont pas cherché à écrire une biographie de Jésus comme on peut écrire aujourd’hui celle d’un personnage célèbre. Ils s’intéressaient peu, semble-t-il, à sa vie quotidienne, moins encore à son déroulement chronologique lorsque celui-ci ne s’imposait pas. En outre, ils ne s’adressent pas à un ou des destinataires précis (sauf Luc), mais par principe, à un public très large. S’ils rapportent certaines paroles ou certains actes, ils le font, semble-t-il, à titre d’exemple comme paraît l’indiquer Jean (21,25), sans se soucier réellement du moment où celles-là ont été prononcées ou ceux-ci ont été accomplis. Il est même possible que certains versets ou certains épisodes rapportés ne soient pas à leur place originelle, et l’on peut penser que certains discours – comme celui dit du « Sermon sur la montagne » – sont non seulement des résumés, mais aussi des mises en forme d’un enseignement inlassablement répété : « Les Évangiles ont une telle indifférence pour l’ordre dans lequel se déroulent les faits que la critique ne parvient pas à établir avec certitude l’itinéraire de Jésus au cours de sa prédication, et le temps qu’elle a duré (entre quelques mois et trois ans)2. » Les Évangiles sont des textes narratifs, des résumés de catéchèse, des témoignages sur l’Incarnation divine, sur la Résurrection et l’annonce de la Bonne Nouvelle, écrits par des hommes de conviction inspirés (ou sous leur responsabilité) pour susciter ou fortifier la foi des lecteurs, tout en la replaçant dans un contexte historique précis. [3]


Mark Allan Powell 

Ce sont des biographies anciennes, pas modernes. Les évangiles ne prétendent pas offrir des perspectives objectives ou équilibrées sur la vie de Jésus. Ils ne révèlent pas leurs sources et n'offrent aucun moyen aux lecteurs de vérifier la fiabilité de ce qu'ils rapportent. Leur traitement est loin d'être exhaustif : ils n'offrent que peu d'indications sur la personnalité ou la motivation de Jésus ; ils ne fournissent pratiquement aucune information sur ses débuts ; ils ne se donnent même pas la peine de décrire son apparence physique. Ils manquent également le type de données - références à des noms, des dates et des lieux - qui serait la norme pour toute biographie moderne : l'Évangile de Marc nous dit que Jésus a guéri un homme dans une synagogue (3:1-6), mais il ne nous donne pas le nom de l'homme ni ne nous dit quand cela s'est passé ou ce qui s'est passé ensuite (La guérison était-elle permanente ? L'homme est-il devenu un disciple de Jésus ? A-t-il continué à fréquenter la synagogue ?). Bien que cela puisse nous paraître étrange, le public du monde ancien ne s'attendait pas à ce que de telles questions soient abordées dans les biographies. Le but des biographies anciennes était de relater des récits qui dépeignaient le caractère essentiel de la personne qui faisait l'objet de l'ouvrage. En effet, le but de la biographie était de définir le caractère de cette personne d'une manière qui invite à l'émulation. De plus, le style anecdotique des biographies anciennes permettait de relater les événements sans trop se soucier de la chronologie. Les événements n'étaient pas nécessairement rapportés dans l'ordre dans lequel ils se produisaient, mais plutôt dans un ordre susceptible d'avoir un effet rhétorique souhaité sur les lecteurs du livre. Cette caractéristique peut expliquer pourquoi nos quatre évangiles relatent souvent les événements dans des séquences différentes (par exemple, le récit du renversement des tables de Jésus dans le temple de Jérusalem se trouve près du début de l'évangile de Jean mais se rapproche de la fin de l'évangile de Marc). [4]


Brant Pitre 

Les biographies anciennes n'ont pas besoin d'être classées par ordre chronologique. Un autre parallèle important entre les biographies gréco-romaines et les quatre Évangiles est qu'elles ne sont pas nécessairement des comptes rendus strictement chronologiques de la vie d'une personne. En fait, le texte peut aussi être organisé de manière topique ou thématique.  Par exemple, le biographe romain Suétone écrit ce qui suit dans sa vie de César Auguste : Après avoir donné en quelque sorte un résumé de sa vie, je vais maintenant en reprendre les différentes phases une par une, non pas dans l'ordre chronologique, mais par catégories, pour rendre le récit plus clair et plus intelligible. (Suetonius, Life of the Deified Augustus, 9) 1 5. [5]


Une fois que l'on comprend que les évangiles ont des points similaires aux biographies anciennes on ne peut pas accuser les auteurs de s'être trompés au niveau de la chronologie, bien évidement on peut faire remarquer que Luc dans son prologue dit qu'il a écrit de manière "suivie" (Luc 1.3) mais cela ne veut pas dire qu'il a cherché à écrire de manière "suivie" dans les moindres détails, dans le contexte du premier siècle en prenant en compte comment était rédigée une biographie ancienne on peut facilement comprendre  qu'il a écrit un récit de façon "suivie" dans les grandes lignes et non dans les moindres détails.

En plus de ne pas forcément chercher à produire des récits chronologiques il arrive que les évangélistes condensent les faits qu'ils rapportent. 

Exemples : 

  • En Marc 11 Jésus entre dans Jérusalem un dimanche, chasse les marchands du temple et maudit le figuier le lendemain (lundi) puis le mardi les disciples constatent que le figuier était desséché tandis qu'en Matthieu 21 Jésus entre dans Jérusalem le dimanche, chasse les marchands du temple le même jour puis maudit le figuier le lundi et les disciples constate que le figuier est séché le lundi juste après les paroles de Jésus.

  • En Luc 24.36-50 Jésus apparait ressuscité aux disciples puis s'élève au ciel tandis qu'en Actes 1.1-8 Jésus est enlevé au ciel 40 jours après sa résurrection.

(encore une fois je pourrai citer d'autres exemples mais ces deux exemples suffiront)


Là encore on pourrait prétendre avoir affaire à des contradictions irréconciliables, pourquoi Matthieu diverge avec Marc ? Pourquoi Luc diverge entre ses deux écrits ? La réponse est toute simple, Luc dans la fin de son évangile a condensé son récit sur l'apparition de Jésus.

De même pour Matthieu qui a raccourci volontairement son récit pour ses propres raisons faisant passer un événement qui s'est produit en deux étapes à une seul, on pourrait objecter que dans Matthieu il est bien dit qu'au moment où Jésus a maudit le figuier celui-ci s'est desséché à l'instant et les disciples ont dit "comment le figuier s'est-il desséché à l'instant ?" donc il n'est pas possible qu'il s'agisse d'un événement en deux temps et qu'il y ait un décalage de 24heures entre la parole de Jésus et celle des disciples. Il faut remarquer que le terme utilisé qui est traduit par "à l'instant" est "παραχρῆμα" qui se rapporte à une période de temps extrêmement courte entre un état ou un événement précédent et un état ou un événement ultérieur [6] et dans ce contexte avec le temps de desséchement du figuier on peut comprendre que "παραχρῆμα" puisse être valable pour une période de 24heures comme le note Craig Blomberg "apparemment, l'arbre ne s'est pas fané pendant que les disciples étaient encore en train de regarder, mais il s'est fané dans les vingt-quatre heures qui ont suivi (Marc 11:20). D'après les normes horticoles, cela peut être qualifié d'immédiat". [7]

Cette pratique de condenser des événements s'appelle un "télescopage littéraire", comme le souligne Trent Horn "en ce qui concerne les contradictions chronologiques, nous devons également garder à l'esprit un dispositif littéraire appelé "télescopage". Tout comme un télescope peut faire apparaître les corps célestes plus près qu'ils ne le sont en réalité, le télescopage littéraire fait apparaître les événements d'un récit plus près les uns des autres dans le temps". [8] 

Pour vous donner une analogie toute simple, imaginez que vous croisiez dans la rue un ancien collègue qui vous demande "quoi de neuf au boulot ?" vous lui répondez que lundi dernier, Mr "W" a remit en main  propre à Mr "X" une lettre de démission et ce dernier l’a ouverte et lui a répondu qu'il n'acceptait pas cette lettre de démission. Raconté de la sorte sorte cette histoire explique que cet événement s'est déroulé en quelques instants un lundi, et pourtant Mr "W" a bien remit la lettre à Mr "X" un Lundi" mais ce n'est que le Jeudi suivant que Mr "X" a refusé la demande de démission ! Dans la version raconté à mon collègue j'ai simplement condensé l'histoire, ai-je menti ? Me suis-je trompé ? Non parce que je n'avais pas l'intention de raconter cette histoire à mon ancien collègue dans un ordre chronologique strict, le même raisonnement s'applique aux évangiles.



  1. Bart Ehrman, La construction de Jésus aux sources de la religion chrétienne, chap2

  2. http://ehrmanproject.com/do-the-gospels-disagree-with-one-another

  3. Bruno Bioul, les évangiles à l’épreuve de l’histoire pp 173-174

  4. Mark Allan Powell, introducing the New Testament: A Historical, Literary, and Theological Survey p96

  5. Brant Pitre,The case for Jesus, p66

  6. Johannes P.Low & Eugene A.Nidan Greek-English lexicon of the New Testament, volume 1,67-113

  7. Craig Blomberg, The American commentary volume 22 Matthew, p317

  8. Trent Horn, Hard saying a Catholic approach to answering Bible difficulties, chap11



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